M. Pierre PERRUQUET est un ami personnel de M. Marcel ALBERT. Une amitié qui remonte à 1939. C’est grâce à lui que je suis rentré en contact avec ce pilote exceptionnel qu’est Marcel ALBERT. En discutant avec M. PERRUQUET, fin décembre 2006, de l’interview de son ami publiée sur SFM, j’ai eu l’idée de lui proposer de l’interviewer, lui, le mécanicien du prestigieux groupe de chasse 1/3. Rendez-vous fut pris pour les vacances d’hiver et l’interview fut réalisée le 6 mars 2007 en une après-midi, durée bien trop courte au regard de la précision et du nombre de souvenirs évoqués. Georges Guillaume, pseudo « Albertmarcel ». |
GG : Pourquoi avoir choisi une carrière militaire dans l’armée de l’air ?
PP : Eh bien, je suis né en 1919 dans une famille de militaires, mon père avait fait la première guerre mondiale. Depuis mon adolescence j’étais attiré par l’aviation car un de mes oncles avait été pilote durant la grande guerre. Il me racontait régulièrement des récits de combats aériens, c’est lui qui, alors que je devais avoir 12 ans, me mena à Villacoublay où je rencontrais Mermoz…
C’est pour ces raisons que quelques années plus tard, je rentrais au Lycée Technique St Joseph de Dijon en section industrielle. J’en sortis à 17 ans avec mon brevet industriel en poche et fort logiquement, je choisis l’école des Apprentis Mécaniciens de Rochefort. En mars 1939, le Brevet Supérieur de Mécanicien obtenu, je fut affecté à la Base aérienne 112 de Dijon Longvic au groupe de chasse 1/3 en tant que caporal-chef.
Sergent Pierre Perruquet, Corse 1943.
GG : Quels sont les appareils sur lesquels vous deviez travailler à cette date ?
PP : Le GC 1/3 était équipé de Dewoitine D 500 et D501 (avec le premier moteur canon) puis nous avons été équipés du Morane Saulnier MS 406 avec lequel nous avons quitté Dijon pour Nancy débutant ainsi les opérations de guerre.
GG : Quels souvenirs gardez-vous du MS 406 ?
PP : C’était un avion qui nécessitait beaucoup de surveillance après chaque vol et son entretien était difficile. Je me souviens que son moteur ne disposait pas de point d’accrochage, le remplacer était un tour de force et il fallait utiliser une « chèvre » pour le soulever après l’avoir sanglé. L’armement était aussi source de nombreux problèmes en particulier parce qu’il gelait en altitude…
On a eu beaucoup de soucis avec les pierres sur le terrain, je m’explique : l’empennage était très bas et le ventre du fuselage était en toile. Lors du décollage ou de l’atterrissage des cailloux venaient rebondir et percuter l’appareil à ces endroits perçant des trous, ce qui alourdissait notre charge de travail ! Ce problème de cailloux devint si important que le Commandement de l’Armée de l’Air demanda à une compagnie de l’Armée de Terre de venir ramasser les pierres sur la piste. Les abords de la piste furent donc décorés après le ratissage de nombreux monticules de pierres !
GG : Votre travail était donc assez dur !
PP : Oui car l’entretien que nous avions à faire n’était pas facilité par l’appareil et de plus nous ne devions pas sortir du cantonnement. Cette mesure était aussi valable pour les sergents (grade que j’avais obtenu en septembre 1939). Alors avec mon ami Jean Couthures on faisait le mur pour aller, à pieds, à Nancy manger au restaurant : une ballade de 12 km quand même !
On a été récupéré un jour à 2 heures du matin par le colonel commandant de secteur qui a relevé nos noms et grades nous annonçant que nous aurions de ses nouvelles dès le lendemain. Nous sommes le 6 mars 2007 et j’attends encore ! Avec les premiers froids, autour de novembre 1939, le travail est devenu plus éprouvant car les moteurs ont commencé à refuser de démarrer. La tâche était compliquée par le nombre de missions de surveillance de frontière que les pilotes effectuaient ce qui occasionnait beaucoup de révisions.
Septembre 1939, le GC 1/3 est à Velaine avec ses MS 406
(de gauche à droite sous-lieutenant Salva, capitaine Challe, sergent Caussat, sergent-chef Octave, sous-lieutenant Potier,).
GG : Ils ne faisaient que de la surveillance de frontière ?
PP : Absolument, les pilotes n’avaient pas le droit de franchir la frontière. Le commandant d’escadrille Bernard Challe (dont le frère fut pilote au Normandie Niemen) lors d’une mission avait fait une passe de tir sur un dispositif allemand en limite de frontière : il a été sanctionné dès son retour…drôle de guerre.
GG : Quels étaient vos rapports avec les pilotes ?
PP : Excellents avec les sous-officiers pilotes car nous avions le même cantonnement et la même popote de l’escadrille dans le presbytère de Velaine en Haye. En tant que sergent mécanicien j’avais la charge d’un avion avec un caporal. Je m’occupais de l’appareil de Pierre Salva (auteur du « Temps des cocardes ») avec le caporal Pierre Colombier (qui aidera plus tard les trois sergents pilotes du 1/3 à s’évader de La Sénia vers Gibraltar…)
Des pilotes du groupe à Cannes La Bocca (de gauche à droite, le lieutenant Salva, lieutenant Boutarel, commandant Thibaudet, X, capitaine Challe, sous-lieutenant Madon, X aumônier militaire, sous-lieutenant Rissotte).
GG : Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
PP : En fait en décembre 1939 le GC 1/3 était à Cannes-Mandelieu pour être transformé sur Dewoitine D 520. C’est là-bas qu’on a fait l’expérimentation de ces appareils, en particulier les imprévus mécaniques. Le D520 était excellent car il n’avait aucun souci mécanique, il était facile d’entretien, beaucoup plus que le MS 406 et le moteur lui-même était fiable. La seule gêne a été le réglage délicat des 6 carburateurs du moteur en V.
C’est à Cannes que j’ai fait la connaissance du jeune sergent pilote Marcel Albert qui s’est rapidement révélé être le meilleur tireur du groupe sur cible tractée. J’étais souvent sur Bloch 200 avec mon copain Gabriel Cuénot pour manœuvrer le treuil de commande de la cible. Les cartouches étaient teintes pour identifier les impacts des tirs des pilotes sur la cible : les résultats d’Albert étaient terribles !
On logeait ensemble dans l’hôtel du golfe à Cannes et comme nous partions de concert dans les soirées de la ville, on a vite sympathisé…
GG : La campagne de France vous a donc rattrapée à Cannes ?
PP : Oui, dès le 10 mai 1940 avec le départ précipité des avions pour Wez et de l’échelon roulant par train. On a tout connu au GC1/3 : on a été bombardé par des appareils inconnus, car à cette période on ne savait pas les reconnaître…et on courrait se jeter à l’abri dans des tranchées creusées par nos pères en 1914-1918 ! On a assisté à une multitude de combats aériens : les traînées blanches dans le ciel, les avions qui tombaient et les pilotes qui descendaient au bout de leurs parachutes.
En quittant le terrain pour replier, j’ai reçu l’ordre d’incendier deux D520 qui refusaient de démarrer : j’ai ouvert le bouchon de réservoir d’essence, j’y ai placé un chiffon, et avec mon briquet j’ai tenté d’y mettre le feu, mais rien à faire, les avions ne voulaient pas brûler ! Pour parvenir à mes fins, j’ai dû tirer une rafale de Chatelleraut 24/29 dans les réservoirs puis les incendier avec mon briquet… et cette fois ça a marché, une chance car les chars allemands étaient très proches de notre terrain !
On est donc parti en camion et sur la route on a été bombardé, tout le monde s’est retrouvé à plat ventre dans les fossés, on en a profité pour casser la croûte. C’est à ce moment que l’un de nos camarades a décidé de se réfugier dans une cabane, en relevant la tête, j’ai vu une bombe tomber pile sur la cabane ! Comme quoi la vie tient à peu de chose !
On a continué de se replier et on est passé le long d’un terrain occupé par des Potez 63 qui venait d’être bombardé, il y avait beaucoup de fumée et on a continué notre fuite éperdue au milieu des réfugiés vers Esbly.
GG : Vous avez aussi été bombardé à Esbly ?
PP : Bien sur et à plusieurs reprises par des Stuka qui disposaient de bombes avec des sifflets qui arrosaient énormément ! A ce sujet, avec Colombier, on avait creusé un trou juste pour deux, ainsi pour être touchés, il faudrait que la bombe nous tombe exactement dessus. Les D520 devaient décoller, je finis de brêler le capitaine et le terrain commence à être bombardé. Je pique un sprint jusqu’au trou qu’on avait creusé, je saute dedans et là surprise : il était déjà occupé par deux hommes ! Je suis donc resté durant tout le bombardement au-dessus d’eux, les fesses au ras du sol ! On s’en est tous sorti indemne, mais une bombe étant tombée dans de l’eau toute proche je me suis retrouvé couvert de boue !
GG : Vous avez dû avoir une sacrée frayeur !
PP : Finalement non. On n’avait pas peur, on n’a jamais eu peur. J’ai toujours été volontaire pour les missions hors de la routine quotidienne et je ne me suis jamais posé la question de la mort. On a même eu quelques moments comiques comme lorsqu’on a dû aller sortir un adjudant-chef d’un trou où les paysans mettaient la pulpe de betterave après distillation. Ce dernier avait sauté dans le trou pour se protéger lors d’un bombardement : il était dans un piteux état ! Et puis on était très occupé, c’est là qu’on a testé les premières grilles métalliques pour piste, c’était une vraie usine à gaz ! Complexes à monter, ces grilles se tordaient dès qu’un avion se posait… comment préparer une guerre avec un matériel pareil !
GG : Tant d’épreuves pour tous vous retrouver à Oran !
PP : Oui car d’Esbly on a reculé sur Pithiviers avec un groupe de Breguet si mes souvenirs sont exacts où on était envahi par les mouches. Puis on est parti de nuit direction Bordeaux au milieu des réfugiés. On est arrivé à Mérignac, c’était une pagaille ! On a marqué un temps d’arrêt et on a dormi dans les camions en espérant être embarqué pour l’Angleterre.
En fait on a reçu l’ordre de se diriger sur Marseille et à Lésignan un camion de l’échelon roulant a eu un gros problème mécanique, on a dû marquer un nouveau temps d’arrêt pour la réparation. Le convoi était stoppé devant une maison close : rapidement on a plus vu de soldats autour du camion !
On est quand même arrivé à Marseille sur la Joliette…
Un bordel dans l’organisation ! On pensait toujours partir pour l’Angleterre alors j’ai vendu tout le matériel de ma cantine. C’est en attendant l’ordre d’embarquement qu’on a assisté au bombardement de Marseille, on a tiré sur les avions ennemis… avec nos fusils Gras !
On est finalement parti sur le Djebel Aurès et au large des côtes de l’Espagne on a essuyé une violente tempête alors qu’on était pisté par un sous-marin.
En route pour l’Afrique du Nord, Pierre Perruquet (à gauche) sur le Djebel Aurès, 21 juin 1940.
On pensait toujours être en partance pour l’Angleterre alors qu’on se dirigeait vers Oran !
Une fois débarqué, on a été dirigé vers Kalaa Djerda (juillet 1940) sur un terrain du Sud algérien, perdu et très chaud. C’est là qu’on a eu le plaisir de retrouver nos avions, que nous avions quittés à Mérignac. Début juillet on est parti pour Tébessa (sans avion) puis finalement Tunis el Aouina où la journée nous partions à la plage pour échapper à la chaleur et aux moustiques !
C’est là que le 14 juillet 1940 mon ami André Mercier s’est tué lors du défilé aérien. Son appareil a déclenché à moins de 500 mètres d’altitude et il est tombé dans le lac de Tunis où il a été retrouvé en 1972.
GG : Quelle était l’ambiance au GC 1/3 à cette époque ?
PP : Nous étions l’armée d’armistice, donc en temps que telle nous étions tenus de rendre des comptes à la commission d’armistice allemande, pour nous c’était les Italiens. Au sein de l’unité, la Légion Française des combattants faisait des conférences pro-pétainiste… enfin, jusqu’au jour où lors de l’une de leur conférence le courant a été coupé à La Sénia…
Oran la Sénia, fin 1940, des pilotes du groupe (de gauche à droite, sergent-chef Barberis, sous-lieutenant d’Irumberry de Salabery, sous-lieutenant Salva, adjudant Octave, lieutenant Cabaret, sous-lieutenant Boutarel, capitaine Challe, commandant Thibaudet, lieutenant Thierry, sergent-chef Dumoulin, sous-lieutenant Madon, X, lieutenant Blanck, X, adjudant-chef Guillaume, X, sergent-chef Musset, sergent Bouffier)
Et les mécaniciens (de la 1ère escadrille).
Les sous-officiers écoutaient radio Londres, mais nous étions très méfiants les uns vis à vis des autres car le mouchardage existait bel et bien ! Le sergent pilote Poupard m’avait demandé de préparer son avion pour partir vers Gibraltar, ce qui m’était impossible puisqu’en tant que sergent je ne montais pas les gardes de nuit, donc je ne pouvais pénétrer dans les hangars. Il en a parlé à d’autres et le lendemain il avait été mouchardé…
Quant aux officiers, ils ne nous parlaient pas…
GG : Justement, le départ d’Albert, Lefèbvre et Durand pour Gibraltar a t-il eu des conséquences sur l’unité ?
Marcel Albert, garçon d’honneur avec Pierre Perruquet au mariage du sergent Robert Coindard, La Sénia 1941
Sergent pilote Marcel Albert en discussion avec l’adjudant Octave, 1941.
PP : Oh là là, terrible ! On a eu droit à une enquête, la fouille des chambrées par le commandant, des interrogatoires sur nos rapports avec les trois sous-officiers pilotes ( si nous étions proches d’eux ou pas) ! En fait c’est mon caporal (Pierre Colombier) qui avait préparé les trois appareils de nuit car il était le seul à pouvoir entrer de nuit dans les hangars puisqu’il en montait la garde. Il n’a jamais été inquiété !
Pierre Colombier avec le lieutenant Salva, La Sénia 1941.
GG :Après cet épisode c’est le 8 novembre 1942 qui est une date marquante pour vous.
PP : Oh oui, car mon premier contact avec les Américains a été les bombes qui nous sont tombées dessus ! Nous étions en état d’alerte depuis trois jours. Le 7 novembre un Bloch 175 n’est pas rentré de patrouille, on nous a fait creuser des tranchées et des trous de protection autour du terrain. Dans la journée un He-111 s’est posé sur notre terrain, l’équipage a été pris en charge par les officiers.
Le 8 novembre, la journée a commencé par une alerte. On a sorti les avions en urgence et ils ont décollé sous le bombardement. Un appareil britannique a été tiré par un D 520 au moment où il nous larguait ses deux bombes dessus.
Bar de l’escadrille du GC 1/3 après le bombardement du 8 novembre 1942…
Et les hangars de la 2ème escadrille.
J’étais recroquevillé au fond d’un trou et je me suis retrouvé couvert de tuiles. On a perdu le commandant de groupe dont j’étais le mécano et deux pilotes (Sudan et Mauvier et le capitaine Faisandier très grièvement brûlés). On s’est replié en fin d’après-midi au Sud-Est de la piste et des appareils étaient en feu. On a passé la nuit là. Le lendemain à l’arrivée des troupes américaines une batterie de 75 s’est mise à ouvrir le feu sur eux… et ses obus tombaient aussi sur nous ! On attendait la fin de l’orage et personne ne bougeait. Un soldat américain est tombé à côté de moi alors que les 75 continuaient de nous tirer dessus, il m’a offert une cigarette et de l’eau, il appartenait au 509 régiment d’infanterie parachutiste du colonel Raff. C’est ainsi qu’on a été fait prisonnier !
GG : Qu’êtes vous devenu ?
PP : On a été transformé sur Spitfire V et on est devenu le GC 1/3 Corse. Le Spit V était un très bon appareil, facile d’entretien mais son carburateur à membrane nous a posé quelques soucis. Nous avons effectué de nombreuses missions pour le Coastal Command, on était le 327 squadron. Les pilotes étaient très motivés. C’est durant cette période que j’ai accédé au grade de sergent chef.
Travail sur Spitfire, Bône les Salines, 1943 (de gauche à droite, sergent Boucard, sergent Corvisier, sergent Perruquet, adjudant Fricou).
On était d’ailleurs encore à Bône les Salines quand, en août 1943, j’ai assisté à un retour en catastrophe d’un raid de B-17. Ils étaient partis d’Angleterre pour effectuer un parachutage sur le Vercors. C’était incroyable : des B-17 se posaient dans tous les sens dont plusieurs sur le ventre ! Une roue d’un bombardier qui venait de se crasher a rebondi devant moi avant de me passer au-dessus de la tête ! J’ai vu des membres d’équipage descendre de leurs appareils et embrasser le sol. Qu’est ce qu’il y a eu comme casse !
GG : C’est peu de temps après ce dramatique épisode que vous avez débarqué en Corse.
PP : Oui, le 23 septembre 1943. Le 29 septembre je me trouvais sur le port lorsque mon attention fut attirée par la DCA qui ouvrait le feu sur des appareils ennemis. Je voyais au large les bombardiers allemands quand un éclair lumineux puis de la fumée se dégagea de l’aile d’un des appareils. J’ai tout de suite pensé que l’avion avait été touché… sauf qu’une bombe planante se dégagea de l’appareil et je pus observer sa trajectoire sinusoïdale jusqu’à ce qu’elle tombe prêt du sémaphore !
La bombe planante vient de toucher un Liberty-ship (attaque du II/KG 100).
Le navire est la proie des flammes (Ajaccio 29/9/1943).
Rapidement deux autres de ces bombes planantes, ou missiles, sont tombées à côté d’un torpilleur qui était à quai provoquant de gigantesques gerbes d’eau. Suite à l’explosion une tôle me passa au-dessus de la tête je fut renversé par le souffle. Dans cette histoire un Liberty-Ship fut touché mais les bombardiers furent interceptés par des appareils du 2/7 qui rentraient de mission et je crois me souvenir qu’ils en ont abattu.
GG : Le séjour en Corse s’annonçait difficile…
PP : En effet, mais c’est surtout par le nombre de missions que les appareils accomplissaient qui par contre coup nous imposaient un entretien très important avec des révisions de 5 heures par appareil ! On a eu aussi quelques problèmes avec les joints d’étanchéité entre les réservoirs supplémentaires et les Spitfire. Les conditions de travail étaient difficiles, il faisait très chaud, on avait de gros problèmes de pièces détachées et on était à peine nourri.
Pilotes et mécaniciens de la 2ème escadrille du GC 1/3 à Campo del Oro, 1943.
Il a donc fallu se débrouiller par nous même. Pour les pièces détachées on faisait du troc avec les Américains, par exemple on leur échangeait un moteur neuf contre deux jerricans d’essence…remplis de vin d’Algérie ! Pour obtenir ce vin on utilisait deux réservoirs supplémentaires bien nettoyés qui étaient montés sur un Spitfire qui faisait pour l’occasion le voyage en Afrique du Nord. Pour la nourriture on profitait des deux Spitfire en stand-by à Calvi. La journée terminée ils venaient se reposer à Borgo et nous ramenaient des langoustes dans les boites à munitions pour le mess ! Malheureusement tout ceci n’était pas régulier ! On faisait aussi du troc avec les habitants : un vieux corse avait besoin de poudre pour son fusil de chasse, on a donc échangé de la poudre d’obus de 20 mm contre 20 litres de vin.
Sergent-chef Cazes de la deuxième escadrille en Stand-By à Campo del Oro sur Spitfire IX, 1944.
GG : Le séjour en Corse s’est avéré plus dur que la campagne de France ?
PP : Physiquement oui, sinon la campagne de France reste le plus dur moment de la guerre.
Pierre Perruquet devant le Spitfire dont il a la charge.
GG : Plus dur que les Ardennes ?
PP : Ouh, les Ardennes ça a été dur aussi ! On était à Haguenau et malgré le brouillard les appareils continuaient les missions. Il faisait terriblement froid, on a eu –30° et réparer un appareil par ces températures est très pénible. Les appareils avaient des fuites de glycol et lorsqu’on intervenait, il fallait s’enduire les avant bras de graisse pour se protéger du liquide glacial qui nous coulait dessus jusqu’au coude.
Côté allemand on n’a rien vu… Par contre on est parti en catastrophe car les Américains repliaient et allaient détruire la piste avec des bombes reliées avec du cordon explosif. Les Allemands étaient proches et une fois de plus j’ai dû détruire deux Spitfire IX que l’on devait abandonner ! C’est la première fois de la guerre où j’ai eu peur d’être fait prisonnier et j’ai quitté le terrain dans le dernier camion.
GG : Où étiez vous lors de la capitulation de l’Allemagne ?
PP : On était à Sersheim, à côté de Stuttgart. J’ai appris la fin des hostilités alors que je venais de ramasser du muguet avec ma Sten en bandoulière.
Pierre Perruquet dans le poste de pilotage d’un Spitfire IX au point fixe pour une poussée du moteur à 3.000 tours minute, Luxeuil, février 1945.
GG : Avez vous eu des nouvelles des trois sergents pilotes qui étaient partis pour l’Angleterre puis la Russie ?
PP : Jamais, aucune nouvelle ou alors très vague, il faut dire qu’on avait nos propres soucis !
GG : Quand avez vous retrouvé Marcel Albert ?
PP : A Sersheim justement. Le Normandie Niémen de retour de Russie en direction du Bourget s’y est posé. Je vois un premier Yak se poser et le pilote m’interpelle « Salut la Lune ! » : c’était Albert ! Il m’avait donné ce surnom durant la campagne de France, à cause de mon visage rond… Puis ça a été la ruée sur tous les pilotes ! Un moment d’émotions inoubliables…
GG : Qu’êtes vous devenu ensuite ?
PP : Je suis resté au GC 1/3 jusqu’en 1948 (Friedrichshafen) puis au Normandie Niémen sur Mosquito jusqu’en 1949.
Mosquito VI de la 2ème escadrille du GC 1/3 en déplacement de Dijon-Longvic à Rabat-Salé, 1946.
Ensuite j’ai été muté à Paris à l’Inspection Technique de l’Armée de l’Air à l’exploitation technique des avaries mécaniques des Spitfire et des Mosquito. La même année je suis parti en Indochine pour 25 mois au Commandement de l’Armée de l’Air à Saigon. Je suis rentré en France en 1952 au Ministère de l’Air au Service du Matériel. Enfin je suis rentré en 1955 chez Dassault à la Direction Générale Technique de l’usine prototype de St Cloud jusqu’au moment de ma retraite en 1982.
Pierre Perruquet, Calvi 1944.
Un grand merci à mon ami Pierre Perruquet pour sa gentillesse et sa disponibilité pour réaliser cette interview. Toutes les photos sont des photos personnelles de M.Perruquet, merci de ne pas en disposer sans son accord.
Aprés avoir pris connaissance de tous les commentaires des visiteurs/lecteurs, en 2007, de son histoire M. Perruquet trés surpris de l'intérêt porté a son interview, à retourné ses archives pour proposer un peu plus de photos en remerciement de tous les commentaires.
Bou-Saada
• Ci-dessus et ci-dessous : Restes des deux D520 du G.C 2/7 Provence qui se sont percutés en vol le 8 février 1943 à Bou-Saada. Les appareils étaient pilotés par le Capitaine Masson et le Lieutenant Dussard.
Ajaccio : Le port d'Ajaccio juste après l'attaque du KG100 le 30/09/1943. La fumée provient du liberty incendié.
Le quai endommagé après l'attaque.
Le Liberty en feu.
Appareillage du T-33 après l'attaque.
Campo d'el Oro, camp « Paul Engler » septembre 1943
Terrain du G.C 1/3 Corse
Vue du camp Engler composé de tentes américaines.
Moment de détente à midi pour les mécanos du groupe…en cas de pluie la boue était présente y compris dans les tentes !
Campo d'el Oro, mai 1943
- Ci-dessus et ci-dessous :
Epave accidentée de l'appareil du capitaine Duc. Le capitaine a raté son atterrissage
et a percuté le talus en bout de piste à 20m de Pierre Perruquet…le pilote est sorti indemne !
Deux ans après cet interview, il nous a quitté au terme d'une vie bien remplie mais laissant une tristesse infinie, une admiration sans borne et des souvenirs indélébiles.
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- Written by: gilles almeida
- Category: HISTOIRE AVIATION
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